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Tour de France 2015 : Cédric Vasseur : « Quintana sera l’homme à battre ! »

A moins de 2 semaines du début du Tour de France 2015 (4-26 juillet), l’enthousiasme et l’excitation montent crescendo pour les amateurs de cyclisme et les férus du Tour de France. Chaque année soulève son lot de surprises (bonnes et/ou mauvaises), de chutes (espérons « naïvement » que cette année soit épargnée), de luttes acharnées pour la tête du classement général avec les meilleurs (ce fut différent l’an dernier) mais surtout, une présence à chaque fois d’excellents Français et la découverte de nouveaux prodiges.

En attendant que le Tour arrive, j’ai rencontré Cédric Vasseur. L’homme, que les amoureux du vélo connaissent bien, est un ancien coureur cycliste français et est consultant tv, notamment pour France Télévisions, groupe pour lequel il suit, commente, analyse le Tour de France depuis 2009.

 

Tour de France 2015 : Le dispositif France Télévisions

Le dispositif est quasiment similaire à celui de l’année dernière en ce qui concerne le suivi et les commentaires de la course en direct. Il y aura Thierry Adam (journaliste) et Laurent Jalabert en cabine sur le site d’arrivée. Eric Fottorino sera également aux commentaires. Nicolas Geay, lui, est plus à l’arrière de la course pour voir ce qui se passe avec les chutes, les lâchées, les faits de course.

 

Vos fonctions sur le Tour cette année ? Le dispositif France Télévisions ?

Je serai sur la moto son n°1, c’est-à-dire soit devant le peloton quand il n’y a pas d’échappée ou derrière l’échappée quand il y a une échappée et je jongle un peu entre la tête de course. Tous les jours, je serai au Village Départ. Sur les intégrales, on couvre tout sur la moto et sur les étapes qui ne sont pas intégrales, souvent on a un point moto au kilomètre 50. Ça dépend la longueur de l’étape.

Au Village Départ, on retrouvera également Laurent Luyat, qui y entame son 10ème Tour de France en tant que présentateur, les journalistes/animateurs Carinne Teyssandier et Cyril Féraud.

Gérard Holtz, toujours là, pour animer son émission « Vélo Club » avec des invités de marque et une analyse après course. Et puis, changement de taille puisque selon L’Equipe, Jean-René Godard qui officie sur le Tour depuis 1981 pour le résumé et l’analyse des courses ne le fera plus. Mais il sera affecté au bus des coureurs à leur arrivée et les interviewera. Pour les résumés d’étapes, après 34 ans de service, le journaliste de 64 ans laisserait, donc, sa place au journaliste Rodolphe Gaudin.

Même si bien entendu les deux missions « consultant moto / consultant cabine » sont différentes, elles n’en sont pas moins complémentaires. Les commentateurs cabine n’en bougent pas et se trouvent à l’arrivée de chaque étape. Ils voient l’action à travers leurs écrans de télévision. Il s’agit d’un travail d’analyse alors qu’à la moto, il y a du mouvement. Le commentateur est au cœur de l’action. Il est au milieu des coureurs et est témoin de tout ce qui se passe au sein du peloton.

Cédric Vasseur : « Il n’y a que lorsqu’il pleut que je préfère être en cabine. »

Et vous préférez quoi ? La moto ou la cabine ?

Là, par exemple, il y a un peu plus d’une semaine, j’étais sur le Dauphiné. J’étais sur la moto au Critérium du Dauphiné. On voit des choses qu’on ne voit pas forcément à la télévision. Le métier de consultant cabine est vraiment un métier d’analyse, d’observation de ce qui se passe à l’écran. Quand on est sur la moto, on doit intervenir ponctuellement, essayer de résumer de façon très succincte en 15-20 secondes d’intervention ce qui s’est passé pendant 10 ou 30 minutes et donner un peu son avis d’ancien cycliste. On est plus à même de voir les braqués qu’utilisent les coureurs. Comme, par exemple, à la fin du Critérium, j’étais derrière Tony Martin (équipe Etixx-Quick Step). Au début, ça roulait très bien et puis, on s’aperçoit vite quand on a été cycliste que ça commence à aller moins bien. Et ça, on n’a pas cette faculté d’observation quand on est en cabine. Devant un petit écran, ce n’est pas possible. Ce n’est pas les mêmes sensations. Il n’y a que lorsqu’il pleut que je préfère être en cabine quand même… (rires)

Tour de France 2015 : Sentiments, les favoris, les Français

Le Tour 2015 part des Pays Bas le 4 juillet et se terminera comme chaque année sur les Champs Elysées le 26 juillet après 21 étapes : 9 étapes de plaine, 3 étapes accidentées, 7 étapes de montagne avec 5 arrivées en altitude, 1 étape contre la montre en individuel, 1 étape contre la montre par équipe et 2 journées de repos. Ce sera certainement plus mouvementé que l’an passé en espérant que les chutes n’en décident pas autrement. Les cadors seront là : Alberto Contador (Tinkoff Saxo), Christopher Froome (Sky), Vincenzo Nibali (Astana), Nairo Quintana (Movistar) etc.

Cédric Vasseur : « On est à la veille d’un Tour historique parce que le Tour a été bien dessiné même s’il n’occupe que la partie nord et la partie sud de la France. »

Comment percevez-vous le Tour de France cette année ?

Je pense que ça va être un beau Tour. On dit ça chaque année mais franchement, cette année, on est à la veille d’un Tour historique parce que le Tour a été bien dessiné même s’il n’occupe que la partie nord et la partie sud de la France. Si on regarde un peu plus en avant, on s’aperçoit que les organisateurs ont fait des étapes assez courtes et dynamiques en première semaine avec une arrivée à Anvers là-haut, une arrivée au Mur de Huy avec les pavés chez nous dans le nord de la France. Donc, des étapes, où vraiment il peut se passer des choses, avec des conditions météo si elles sont difficiles, elles vont rendre dantesques ces étapes. Après, on a le contre-la-montre par équipe de Plumelec qui n’est pas trop long. Donc, il ne devrait pas trop y avoir d’influence sur le classement. En plus, on n’a pas de long contre-la-montre individuel. C’est un peu « un avantage » pour Nairo Quintana (équipe Movistar) par rapport à Christopher Froome (équipe Sky). Et puis, surtout on a deux massifs montagneux. On a les Pyrénées avec le plateau de Beille. Je pense que c’est l’étape la plus difficile. Et puis, l’étape de Saint-Jean-de-Maurienne pour les Alpes, avec entre temps un passage à Mende où on peut aussi perdre du temps. Donc, le parcours est bien dessiné.

Le tracé du Tour de France 2015

Il n’y a plus d’étapes de transition. Des fois, on prend le départ d’une étape, on se dit « bon, il y a une échappée qui va partir, ça va être tranquille ». Et bien non, ce sont des coureurs comme Vincenzo Nibali (équipe Astana), Alejandro Valverde (équipe Movistar) qui sont échappés et qui mettent le feu dans tout le peloton. Sur le Giro ou sur le Dauphiné, on a eu le même scénario. Donc, on a un cyclisme qui a changé un peu de visage et j’ai envie de dire qu’on est revenu un peu à un cyclisme d’il y  a 15-20 ans. C’est-à-dire un cyclisme de mouvement, un peu plus imprévisible mais qui garantit au téléspectateur un beau spectacle.

Les favoris de ce Tour 2015 ?

Si on regarde les protagonistes, on a cette année Froome qui vient de gagner le Dauphiné. On a Contador qui a frappé sur la table seul, qui a gagné seul le Giro. Il n’avait pas vraiment d’équipe. On a Nibali qui a fait une démonstration sur le Critérium du Dauphiné. Il a eu quelques difficultés mais il est prêt. Je pense qu’il est en phase de réglage et il sera prêt. Et puis, on a « le point d’interrogation » Quintana parce qu’il n’a pas beaucoup couru. C’est lui qui a gagné le Giro l’an dernier d’une main de maître. C’est à mon sens le favori parce qu’il a peut-être moins la pancarte sur les épaules. Il a moins la pression. Comme il n’y a pas de long contre-la-montre et je pense que le Tour va vraiment se jouer en montagne pure, à mon sens, c’est lui le vrai grimpeur. Je pense que s’il arrive aux pieds des Pyrénées et qu’il n’a pas été piégé par une chute, par un coup de bordure et qu’il n’est pas à 5 minutes des premiers, ça va être l’homme à battre.

Contador, Froome, Quintana & Nibali

C’est un top 4 ?

Non, ça ce sont les quatre grands favoris pour la victoire. Après, il peut toujours se passer des choses. Et j’espère pour nos Français que ces quatre-là ne seront pas au top niveau parce que franchement, si on a un Froome, un Contador, un Nibali, un Quintana à 100%, c’est quasiment mission impossible de rentrer dans le top 4. Il ne faut pas rêver. Il faut être réaliste. Là, on a vraiment affaire à l’élite mondiale. Donc, en ce qui concerne nos Français, et là, je pense à Thibaut Pinot (équipe FDJ), à Romain Bardet (équipe AG2R La Mondiale) qui sont bons, qui sont juste derrière ces coureurs-là, il faudrait, à mon sens, profiter d’échappées pour prendre du temps car si vraiment on arrive aux pieds des difficultés comme au plateau de Beille, à l’Alpe d’Huez tous ensemble, franchement pour les Français, ce sera un exploit fantastique que d’aller battre ces quatre coureurs sur une ascension au sommet. Pour moi, le  top 5 est accessible mais le top 3, c’est une autre affaire. On disait la même chose l’année dernière, et puis, Froome est tombé, Contador est tombé…

Et puis, il n’y avait pas Quintana. Est-ce que c’est pour cette raison-là aussi que Nibali a réussi l’an passé ? Ne va-t-il pas avoir plus de difficultés cette année ?

Déjà, il n’aura plus cet effet de surprise. Il avait déjà gagné le Giro et la Vuelta. Donc, ce n’était pas un inconnu. Mais, le Tour, c’est encore une autre affaire. Je pense que l’année dernière, il a bien maîtrisé sa situation. Il était au top niveau. Et pour lui, c’est un beau challenge de prouver au monde entier qu’il a gagné pas parce que Contador et Froome n’étaient pas là mais parce qu’il était le meilleur. Donc, on aura la réponse dans un mois et je pense que ça va le motiver. Je l’ai trouvé bien sur le Dauphiné. Je l’ai trouvé mieux sur le Dauphiné que l’année dernière même s’il n’a pas gagné et je l’ai trouvé plus en phase de test encore, à se tester les jambes, à faire un jour à fond, un jour en se relevant. On voit vraiment qu’il a une approche scientifique du Tour de France. Ça, ça va nous donner un sacré spectacle en montagne parce que ce sont tous des attaquants. Nibali n’hésite pas à partir à 50km. Contador non plus. Par Contre, Froome est peut-être celui qui attend le plus sur le déroulement de la course. 

Cédric Vasseur : « Si on n’a pas une équipe forte, ça ne sert à rien de prendre le maillot dans les Pyrénées parce que la route est encore longue après. »

On attend moins Quintana par rapport aux autres…

Il n’a pas encore livré de vraie bataille. Là, sur le Dauphiné, on a vu une vraie bataille entre Valverde, Nibali et Froome. Ils se sont vraiment fait la guerre. Donc, il y a déjà eu des petits précédents cette année. Quintana, c’est « l’élément neutre » de ce quatuor. Donc, pour moi, c’est un avantage. Après, il faut que physiquement, il soit à la hauteur. Je crois qu’il va faire la route du Sud. On verra à la route du sud. Mais bon, quoiqu’il en soit, Nibali peut compter sur une bonne équipe. Froome aussi. Même si elle est un peu moins forte que d’habitude, elle sera bonne quand même. Quintana, pas de soucis avec la Movistar. Le problème d’équipe, c’est Contador parce qu’on a vu qu’au Giro qu’ils n’étaient vraiment pas à la hauteur. Je ne suis pas persuadé qu’ils arrivent à mettre de nouveaux éléments et qu’ils réussissent à être aussi forts sur le Tour. Je pense qu’il faut composer avec les forces de son équipe. Si on n’a pas une équipe vraiment forte, ça ne sert à rien de prendre le maillot [jaune], par exemple dans les Pyrénées parce que la route est encore très longue. L’idéal pour gagner le Tour, c’est de prendre le maillot [jaune] à l’Alpe d’Huez. 

Et les Français dans tout ça ? Est-ce que l’an dernier, ce n’était pas une année « exceptionnelle » et que cette année sera bien différente ?

Je ne pense pas que ce soit exceptionnel parce que l’on a une vraie bonne génération de Français qui arrivent. Des plus âgés comme Jean-Christophe Péraud (équipe AG2R La Mondiale) qui a pris la 2ème place l’année dernière, qui est un petit peu moins bien cette année mais c’est normal. On a Thibaut Pinot, Romain Bardet qui sont à la tête du cyclisme français en ce qui concerne les courses par étapes. Et puis, derrière on a toute une flopée de jeunes aujourd’hui qui sont très prometteurs ; un Julian Alaphilippe (équipe Etixx-Quick Step) qui n’est pas sur le Tour de France mais qui a fait 2ème sur la Flèche Wallone et à Liège Bastogne Liège. On a vraiment tous ces coureurs qui poussent. On a Nacer Bouhanni (équipe Cofidis) pour les sprints. On attend de voir ce qu’Arnaud Démare (équipe FDJ) va faire cette semaine au Tour de Suisse. On a vraiment des Français qui sont présents dans tous les domaines. Et forcément, un jour ou l’autre, on récolte le fruit de tout un travail. Donc, l’année dernière, ce n’était pas le fruit du hasard. C’est vrai qu’ils ont bénéficié de circonstances favorables avec les abandons de Froome et de Contador. Mais, justement, pour eux c’est une année de confirmation. On va voir la confirmation de l’étendue de leurs talents. Après, Froome et Contador ont eu une chute mais les Français ne sont pas à l’abri de problèmes de santé ou de blessures. Ce n’est pas un coup du hasard d’avoir retrouvé deux Français sur le podium l’an dernier. C’est tout simplement le résultat d’un travail de longue haleine.

Nibali vainqueur, Jean-Christophe Péraud 2ème & Thibaut Pinot 3ème

Ce n’était pas péjoratif…

Non mais la question est légitime parce que les gens disaient que les Français étaient dessus [sur le podium] parce qu’il n’y avait personne au Tour de France… Il n’y a jamais personne sur le Tour. Il y a toujours une concurrence qui est effrénée. Moi, j’ai fait dix Tours de France en tant que coureur. Pour réussir à rentrer dans les dix premiers du Tour de France, ça veut dire que l’on a été constant au haut niveau tous les jours. Je pense qu’ils ont eu la chance de ne pas avoir à affronter en tête à tête des coureurs comme Contador et Froome. Ils en ont bien tiré profit. Cette année, c’est un autre challenge. L’année dernière, ils ont montré au monde entier qu’ils avaient des moyens. Maintenant, il va falloir qu’ils le fassent face aux ténors mais j’ai pas tellement de soucis par rapport à ça parce qu’un Thibaut Pinot, par exemple, a gagné l’étape reine au Tour de Romandie au mois d’avril devant les bons. On a vu un Romain Bardet, la semaine dernière (au Critérium du Dauphiné), partir et gagner. Donc, les Français n’ont plus de complexes. Il faut aussi savoir canaliser son énergie parce que sur le Tour il y a tellement de public, tellement de pression médiatique que des fois on a envie de partir de très loin. Je pense qu’on aura de bons Français. Je croise les doigts. J’espère qu’on en aura un sur le podium mais franchement, ça va être difficile. Il ne faudra pas être déçu si on n’en a pas un sur le podium. S’il n’y a pas de Français sur le podium, ça ne voudra pas dire qu’ils ont fait un mauvais Tour. Si on a Pinot qui finit 4ème et Bardet 6ème, par exemple, c’est un excellent résultat.