Mister Sport

Interview Nicolas Chanavat : « Le marketing du football a énormément de spécificités »

Marketing du Football

Quelques jours du début de l’EURO 2016 si vous souhaitez briller à la cafétéria auprès de vos collègues, il vous faut absolument lire le  « Marketing du football » de Nicolas Chanavat et Michel Desbordes (Edition Economica) comme l’a fait SportBusiness&Moi avec délectation. 

En effet, une fois passé la couverture austère – à quand la fin du célèbre et peu sexy orange et/ou rouge chez Economica ? – c’est toutes les stratégies marketing des clubs de football professionnels qui s’ouvrent à vous. D’autant que l’accès aux chapitres se fait de manière simple car bien que formant un tout l’ouvrage peut également s’attaquer par le biais des thématiques ou des clubs sélectionnés pour leur pertinence dans tel ou telle stratégie. Du « supportérisme vert » à la capitalisation de l’histoire par Manchester United c’est un énorme travail qui a été effectué par les auteurs. Rencontre avec l’un d’entre eux : Nicolas Chanavat


Nicolas Chanavat est Maître de Conférences en Marketing du Sport. Il dirige le Master 1 Management du Sport à l’Université Paris-Saclay et le programme de recherche du Centre d’Etude Olympique Français. Nicolas a travaillé pour des clubs professionnels comme l’AS Saint-Etienne, a participé à de grands événements sportifs internationaux (FIFA, CIO) et exerce des activités de consulting (FFF, projet du « Grand Stade » de l’OL, etc.). Présentement il travaille sur la gestion du « programme volontaires » pour l’Euro 2016.


Nicolas Chanavat : « Le marketing du football a effectivement énormément de spécificités »

SB&M : Quel ouvrage ! Original en plus car il me semble que c’est le premier dans la catégorie marketing à ne traiter uniquement que du football ?

Nicolas Chanavat : Oui on peut effectivement parler d’un ouvrage innovant ne serais-ce que par ses clés d’entrées. En l’occurrence il en existe deux : une par les clubs, du type : qu’en est-il des stratégies et innovations pour des clubs professionnels comme le Paris Saint-Germain, le Real de Madrid, la Juventus de Turin, ou les New York Red Bulls et une seconde au niveau des thématiques : quelles sont les innovations en terme de sponsoring, de billetterie, de digital, etc. Résultat cela fait un gros pavé (rires)

650 pages en effet mais riches et uniquement sur le foot…

Le marketing du football a effectivement énormément de spécificités. Même si c’est vrai que l’ensemble des thématiques renvoient au marketing du sport, ces spécificités liées au foot méritaient un ouvrage en lui-même.

Lesquelles en particulier ?

Je pense notamment au digital. L’évènementiel sportif s’est trouvé bouleversé par l’avènement du digital comme les autres entreprises bien sur mais encore plus dans la mesure où ces clubs de football, ne l’oublions pas, sont des petites PME mais à très forte notoriété. Au-delà des quelques mastodontes et je renvois au classement Deloitte (cf. lien ICI), 90% des clubs sont des petites entreprises citons par exemple Saint-Etienne avec un budget de 70 millions d’euros…et pour autant elles doivent se comporter comme de grosses multinationales qui elles-mêmes sont déjà bien souvent sous staffé par rapport aux attentes des consommateurs en terme de digital. Or les structures sportives professionnelles sont extrêmement scrutées. C’est bien souvent compliqué pour elles à part quelques exemples. Comme le club de West Ham qui vient par exemple de « s’acheter » un e-athlète.

C’est-à dire ?

C’est un sportif qui va représenter le club de West Ham dans les compétitions Fifa. Donc il y a vraiment cette idée d’être présent dans le digital et de répondre aux besoins des consommateurs qui sont de plus en plus connectés.

Nicolas Chanavat : « Les clubs sont réellement sous-staffés en matière digitale »

Le temps de prise de parole a de plus changé puisqu’il ne s’agit plus de communiquer seulement durant la saison sportive mais également d’occuper le terrain avec ses fans tout au long de l’année

Oui car le consommateur en veut toujours plus. Avant le match, après le match le supporter veut vivre au quotidien des joueurs, de l’entraineur, du club et ses composantes. Et le digital permet cette proximité, le spectacle sportif s’en trouve enrichit. Le club peut ainsi agir voir inter-agir. Le consommateur va d’ailleurs lui-même devenir un média, un ambassadeur du club en relayant des informations via les réseaux sociaux que sont Facebook, Instagram, Twitter et autres. C’est donc très important ; mais j’insiste vraiment en disant que les clubs sont réellement sous-staffés en matière digitale.

Il y a effectivement beaucoup de demandes de stagiaires dans ce domaine mais peu de vrais contrats

Oui en effet…beaucoup de mes étudiants sont sollicités. Mais cela reste des stages, l’argent n’est pas là, j’insiste. C’est d’ailleurs l’un des problèmes car le club qui  va acheter et payer un joueur des centaines de milliers d’euros et qu’il va faire jouer ou pas voire le prêter et bien ce n’est pas grave car c’est inscrit dans la culture du club par contre s’attacher les services de personnes compétentes en marketing ou en digital cela apparait beaucoup plus compliqué pour les clubs or l’une des clés qui ressort de mon bouquin c’est justement l’investissement nécessaire dans ce que l’on appelle l’invisible.

Vraiment ?

Oui c’est ce qui ressort. Les clubs bien staffés en marketing et communication n’ont pas des résultats tout de suite bien évidemment mais à moyen terme on s’aperçoit que ces clubs pro bien construits perdurent dans le haut niveau en pérennisant leurs activités. Mais tous n’ont malheureusement pas cette approche.

Nicolas Chanavat : « Le bon marketing ? Le secret réside en premier dans le fait d’avoir une vraie réflexion sur sa marque »

Peut-on justement plutôt évoquer non pas UN mais des marketing(s) dans le football ?

Oui comme on peut dire qu’il y a plusieurs modèles économiques de club c’est d’ailleurs ce que l’on évoque dans la première partie du livre en balayant les différents modèles marketing. L’idée n’est surement pas pour un club de faire des « copier-coller » du bon exemple mais de s’adapter à son environnement.

C’est-à-dire ?

Savoir jouer de ses atouts. Avoir un palmarès par exemple. Cette caractéristique aide assurément à mettre en place des innovations. Pour le Paris Saint Germain, l’Olympique de Marseille, L’Olympique Lyonnais ou Saint-Etienne c’est plus facile. Je pense par exemple au récent battage qui a eu lieu pour célébrer les 40 ans de l’As Saint-Etienne autour de la finale du 12 mai 1976 en Coupe d’Europe. Là tu peux mettre en place des choses intéressantes pour les partenaires économiques du club, les sponsors, etc. Tu peux faire vivre le club à travers cet évènement et d’autres d’où la création d’un musée par exemple. Un musée au TéFéCé c’est plus compliqué, qu’est-ce que tu vas mettre dedans ? Et pour autant  justement le Toulouse Football Club c’est un club qui a trouvé un positionnement original à défaut de grandes stars, de grands joueurs donc du coup le TéFéCé s’est opportunément tourné vers le digital en devenant quelque part les agitateurs de la Ligue 1. A titre d’exemple ce sont les seuls à avoir souhaité un bon anniversaire à Zlatan et quand tu discutes avec le directeur marketing du club il te dit que Zlatan il appartient à toute la Ligue 1 et pas seulement au PSG et qu’il faut en jouer car il représente un atout du championnat. Et il a raison. 

Il y avait aussi la rumeur de Rihanna qui allait racheter le Téf ?

Oui. Très drôle. Et il y en a eu beaucoup d’autres, ils sont très très forts en digital. Bref chaque club à mon sens doit s’approprier son histoire pour créer son propre marketing. Les supporters sont un autre asset sur lequel un club peut s’appuyer. Je pense à Lens, Marseille…Le plus simple est cependant le palmarès mais pour ceux qui n’en n’ont pas il leur faut être encore plus innovant.

Du type ?

Et bien l’e-sport par exemple. Je ne serais pas surpris que d’ici peu certains clubs à l’image de West Ham ou Wolfsburg se servent de ce biais pour innover. D’autant qu’à travers le digital, cela peut animer facilement l’expérientiel client. Aujourd’hui un club peut piloter des campagnes via le digital. Comme l’avait fait par exemple l’As Saint-Etienne qui avait fait gagner avec Orange une nuit sur sa pelouse à l’un de ses fans avec des joueurs qui venaient apporter des croissants par exemple. C’était une belle initiative car tous s’y retrouvent : fans, clubs, sponsors

Quel est d’après toi le secret d’un bon marketing pour un club ?

Le secret réside en premier dans le fait d’avoir une vraie réflexion sur sa marque. Cela parait évident mais tous ne le font pas. 

Ou mal

Ou mal en effet. Il faut vraiment décider de l’identité que tu souhaites véhiculer. Et c’est fort de cette identité que tu vas ensuite pouvoir segmenter, que tu vas pouvoir te positionner. Et surtout il ne faut jamais pour un club se trahir à ce niveau-là. Autant un fan va pouvoir comprendre une défaite sportive autant il ne comprendra jamais que l’image/l’identité de son club soit bafouée. L’identité n’est pas négociable.

Nicolas Chanavat : « Le Bayern de Munich un bon exemple. Le club conjugue titres, fair-play financier et stratégie marketing performante. »

Et au niveau européen, la Ligue 1 se situe t’elle comment d’un point de vue marketing ?

Un club comme le Paris Saint-Germain n’a pas à rougir des grosses multinationales que sont le Réal le Barça ou le Bayern. Après est-ce que le PSG c’est la Ligue 1 voir la France on peut débattre mais aujourd’hui le PSG est en exemple en matière de marketing, d’innovation, de digital mais que seul une victoire en Champions League pourra consacrer…

A quel niveau ?

Le club est prêt, le club est staffé, le club a internationalisé la marque. Il y a des stratégies de sponsoring régionales qui ont été mis en place par exemple. Typiquement le club va regarder son nombre de fan dans le monde. Tiens j’en ai plein en Indonésie et donc j’y vais avec ma marque que je vais vendre localement à des sponsors et cela me fera des rentrées d’argent supplémentaires. C’est super bien vu. J’ai consacré un chapitre entier au PSG dans le livre. C’est quasiment un bouquin dans le bouquin. C’est très intéressant. Quand tu vois la présentation de Lucas à Doha, la présence de Nadal ou d’autres innovations tu vois que tout est réfléchi, pensé.

Mais il manque le titre suprême, la consécration…

Oui on l’a vu avec Chelsea. Tant que tu n’as pas gagné le titre européen, la Champions League, ta stratégie marketing ne peut pas être consacrée. C’est là que le sportif est nécessaire, essentiel même.

Le bon exemple…

Le Bayern de Munich qui conjugue titres, fair-play financier et stratégie marketing performante. L’Olympique Lyonnais c’est pas mal aussi. En investissant dans l’invisible dont je parlais tout à l’heure, ils ont fait très fort, parce que l’OL voit loin et il faut voir loin. A Lyon, le marketing n’a pour une fois pas été oublié et ils ont bien fait de staffer leur équipes alors peut-être au détriment du sportif bien que l’émergence de jeunes pousses a facilité la transition. C’est un stéphanois qui te parle alors cela me fait mal mais bravo à eux. Mais encore une fois, le bon équilibre, le « good balance » entre marketing et sportif est essentiel pour réussir. En cela, l’As Saint-Etienne est exemplaire.

Plus précisément

Son directeur marketing me confiait que son job à lui était de générer chaque année 6 millions d’euros supplémentaire afin de justement les mettre au service du sportif pour en profiter à son tour. D’où des innovations marketing en tout genre comme un musée et autres activations de « money can buy » qui vont doper à leur tour l’ensemble. Le marketing au service du sportif c’est primordial ; c’est l’une des idées clés de l’ouvrage, qui en recèle d’autres…

A vous de les découvrir…

Le Marketing du Football, Edition Economica, de Nicolas Chanavat et Michel Desbordes

(@NicolasChanavat sur Twitter)

Comme vous le savez puisque vous êtes là, SportBusiness&Moi est très tourné vers le digital. Nous avons  demandé à Nicolas Chanavat d’établir son podium des meilleurs clubs de Ligue 1 en matière digitale pour la saison 2015/2016 en prenant les critères suivant : recette/budget/performance. Il justifie ses choix. Et si vous donniez votre podium…

Je mets le TéFéCé en premier  sans soucis. Même si le PSG ou l’OM ont été les premiers a mettre en place leurs pages Facebook, Twitter ou autres c’est réellement le TFC qui a su activer et faire vivre ses outils. Le PSG en second pour leur force de frappe, mondiale. L’OL ensuite pour ses activations de marque performantes avec Hyundai notamment.